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Témoignage d'un écrivain et professeur de lettres, Jean-Louis Bailly
En-dehors de la performance de l’actrice et de la mise en scène (tout cela très réussi), j’ai beaucoup aimé le texte de la pièce. On y sent à la fois une nostalgie de l’époque où le jeu de l’amour pouvait se montrer moins brutal qu’aujourd’hui, et la conviction que le théâtre sait encore nous aider à échapper aux insuffisances d’une époque obsédée par l’efficacité immédiate, à enrichir notre présent, mieux : à savourer de nouveau ce dont nous avons perdu le goût.
Bien sûr, tout le monde ne parlait pas ainsi à l’époque de Marivaux, personne peut-être, sinon un auteur raffiné et subtil comme lui… Pourtant, si je me rappelle l’époque de mes premières amours, il me semble bien qu’en un sens, nous étions encore plus près de Marivaux que de la drague brutale et triste un soir de beuverie qui est décrit sans presque l’outrer…
Marivaux est un auteur devenu trop difficile pour le lycéen d’aujourd’hui. L’obligation de traduire presque tout d’une langue devenue largement étrangère aux oreilles des élèves est une vraie difficulté. J’ai parfois étudié Le Jeu de l’amour et du hasard, mais avais dû y renoncer les dernières années. Pourtant, quelle efficacité dans le scénario ! Quelle justesse dans la description, au début de la pièce, de ce que la presse féminine ou… Psychologie Magazine appellent un « pervers polymorphe » !
Marivaux est, en un sens, parfaitement réactionnaire : voir la fin de L’Île des esclaves, tout à fait en accord avec la morale du temps (raison pour laquelle les metteurs en scène et les éditions scolaires l’escamotent volontiers aujourd’hui) : Dieu vous a fait maître ou serviteur, votre devoir sur terre n’est pas de s’affranchir de Sa volonté, mais de respecter au mieux la place qu’Il vous a assignée – être un serviteur honnête, ou un maître bienveillant. En revanche, il est profondément attentif au sort des femmes, et leur donne toujours le beau rôle. Les hommes chez lui sont très souvent benêts, dénués de finesse : de braves types, pas méchants mais toujours un peu lourdauds. Les femmes, au contraire sont subtiles, fines observatrices - impitoyables aussi, expertes dans l’art de blesser si elles le veulent, volontiers retorses, et trouvant dans la ruse un remède au rôle effacé que la société leur assigne. Les personnages de femmes sont toujours passionnants chez lui.
Bref, vive Marivaux et bravo pour cette pièce !